La tempête des échos
La Passe-Miroir Livre 4
Christelle Dabos
Que
dire ? Comment commencer ? Des années de lecture, des
années d’attentes, et enfin il est là. Le tome 4 de La
Passe-Miroir, cette série qui a traversé mon adolescence depuis
2013. J’attendais ce roman avec une telle impatience que je
comptais les jours qui me séparaient du 28 novembre 2019. Lorsque
jeudi j’ai eu le livre entre les mains, j’ai attendu jusqu’au
vendredi soir pour m’y plonger, afin de ne pas être dérangée
dans ma lecture et de pouvoir lire les cinq cent et quelques pages
d’un coup si cela me chantait. Bien m’en a pris. A quatre heures
du matin, les joues mouillées de larmes, j’avais terminé les
aventures d’Ophélie et Thorn.
J’essayerai
de ne pas inclure de spoilers dans cet article, mais je recommande
vivement à ceux qui n’ont pas encore lu les précédents tomes de
La Passe-Miroir d’éteindre leur ordinateur et de courir entamer
leur lecture.
Une
fois de plus, Christelle Dabos parvient à nous emporter dans une
histoire totalement inattendue et pleine de rebondissements. En
effet, pour approcher au plus près du secret d’Eulalie Dilleux, de
la Déchirure et de sa propre identité, Ophélie se fait admettre à
l’Observatoire des Déviations de Bablel, un établissement où
sont notamment examinés ceux qui n’entrent pas dans les codes de
la cité. Les inversés comme elle sont particulièrement recherchés.
Mais dans cette aventure, Ophélie ne sera pas seule. Malgré son
déguisement de Lord de Lux, Thorn fait équipe avec elle, et c’est
un vrai plaisir d’assister à leur travail en équipe et à leur
vie de couple si peu conventionnelle.
La
tempête des échos n’est pas
un tome facile. Bien qu'emportée par la magnifique plume de l’autrice, je
me suis malgré tout demandé à certains moments de ma lecture si
j’avais bien tout compris de l’intrigue. En effet,
le secret de l’univers de La Passe-Miroir n’est
pas à la portée du premier apprenti venu, et il faut s’accrocher
au moindre indice pour ne pas perdre le fil de l’histoire. Mais une
fois que les pièces du puzzle se mettent en place, tout devient
clair et limpide, et c’est un vrai plaisir de comprendre
enfin pleinement cet univers.
Ce tome 4 est également l’occasion de revenir avec plus de détails
sur certains thèmes qui traversent l’œuvre et dont nous
saisissons toute l’importance dans ce livre.
Il y a notamment la violence et la contrainte dont on est prêt à user pour faire respecter sa vision du bien, notamment à travers Lady Septima, déterminée à exclure tous les étrangers de la cité de Babel, ou Lazarus, un explorateur en apparence inoffensif mais capable de sacrifier des vies humaines pour ses recherches ou ses inventions. De manière générale, le rejet de ce qui est différent, non-conforme à une norme établie, est un sujet souvent traité au fil des tomes. Au Pôle, Thorn était méprisé pour être né d’un adultère. A Babel, les citoyens sont capables d’être internés pour une orientation sexuelle (comme pour Blasius) ou parce qu’ils présentent une « anomalie » dans leur pouvoir.
Il y a notamment la violence et la contrainte dont on est prêt à user pour faire respecter sa vision du bien, notamment à travers Lady Septima, déterminée à exclure tous les étrangers de la cité de Babel, ou Lazarus, un explorateur en apparence inoffensif mais capable de sacrifier des vies humaines pour ses recherches ou ses inventions. De manière générale, le rejet de ce qui est différent, non-conforme à une norme établie, est un sujet souvent traité au fil des tomes. Au Pôle, Thorn était méprisé pour être né d’un adultère. A Babel, les citoyens sont capables d’être internés pour une orientation sexuelle (comme pour Blasius) ou parce qu’ils présentent une « anomalie » dans leur pouvoir.
Cela m’amène à évoquer le lieu principal de cette intrigue :
l’Observatoire des Déviations. Cette sorte d’institut, d’hôpital
m’a glacé le sang. J’y ai ressenti le profond malaise d’Ophélie
et des pensionnaires, la terrible sensation d’être pris au cœur
d’un système sans queue ni tête, où le patient est réduit au
stade d’un enfant soumis à ses médecins. J’ai l’impression
que Christelle Dabos a voulu dépeindre dans ce roman la violence
dont pouvait faire preuve le corps médical et les dérives de
certaines expériences. En effet, le but de l’Observatoire n’est
pas de soigner leurs patients, mais de les utiliser à des fins
despotiques.
Dans cet étrange lieu, au multiples couches, Ophélie va
véritablement au bout d’elle-même, puisqu’elle découvre enfin le secret de son identité. J’ai rarement vu un personnage aussi
malmené ! Tout au long de l’intrigue la jeune femme est
forcée de remettre en question son identité, ses valeurs, ses
choix. Pour survivre au Pôle, elle a dû lutter contre sa timidité
et son attitude réservée. Pour vaincre l’Autre, Ophélie doit interroger son être profond, sa propre personne. La suivre dans ses
découvertes est vraiment passionnant et déroutant. A la fin de
ce tome, nous réalisons l’incroyable chemin qu’elle a parcouru
depuis le moment où nous l’avons pour la première fois vu
franchir un miroir dans les Archives Familiales d’Anima.
Thorn aussi est un personnage qui évolue de façon considérable. Ce
tome 4 nous permet pendant de brèves parenthèses de suivre son
point de vue. Nous avons notamment droit à des flash-back de son
enfance, ou à des explications sur la façon dont il est parvenu à
s’échapper du Pôle. Il se montre également plus expansif, il
exprime davantage ses sentiments. Il est un soutien indéfectible
pour Ophélie. Ces deux protagonistes m’ont énormément touchée.
Nous comprenons que Thorn désire simplement être utile à
quelqu’un, se sentir aimé, accepté.
A travers ces personnages principaux, Christelle Dabos semble aussi
nous montrer combien le corps peut être une source de fardeau, de
handicap. Thorn, avec sa jambe articulée, porte le signe criant de
son infirmité physique. Il ne peut dissimuler ce qu’il considère
comme une faiblesse, et en ressent de la honte et de l’agacement.
Le fait qu’il ait de plus en plus de mal à contrôler ses griffes
renforce le dégoût qu’il éprouve pour lui-même. Le moment où
il parvient enfin à s’accepter grâce au regard de sa cousine
Victoire m’a profondément émue. Il est rare dans les romans
jeunesse de voir des personnages masculins ressentir un dégoût
profond pour leur apparence physique. La question des complexes est
en effet souvent réduite au personnage féminin.
Ophélie aussi perçoit son corps comme un fardeau, une entité qui
ne lui obéit pas et qui la trahi. Outre sa maladresse légendaire,
la jeune femme découvre avec tristesse qu’elle ne pourra jamais
avoir d’enfant. Ce droit à la maternité qu’elle s’est
involontairement retiré en libérant Eulalie du miroir la marque de
manière aiguë et la fait se sentir coupable, incomplète. Là
encore, le soutien de Thorn est bienvenu.
Les autres personnages que nous connaissons, bien que moins présents
qu’Ophélie et Thorn, sont malgré tout évoqués. Victoire
effectue une belle évolution, puisqu’elle parvient enfin à nouer
un lien fort avec le monde extérieur. J’ai été ravie et touchée
de voir que Berenilde accède enfin à ce qu’elle a toujours
aspiré : une famille. Le fait que tous les animistes, notamment
la tante Roseline et le grand Oncle soient présents pour la
bataille finale m’a enchantée !
Tous les esprits de famille
sont également présents dans le Mémorial, notamment Farouk et Artémis.
Farouk montre encore une fois sa clairvoyance supérieure à celle de
ses frères et sœurs.
Les personnages que j’aurais peut-être aimé voir davantage sont
sûrement Gaëlle, Renard et Archibald, mais Christelle Dabos
parvient à consacrer plusieurs chapitres à leur périple sur
Arc-en-Terre, nous permettant de rencontrer Don Janus, le seul esprit
de famille à avoir conservé sa mémoire. Mais l’autrice gère
plutôt bien le temps imparti à chacun de ses personnages, tout en
concluant son intrigue complexe. J’ai simplement du mal à quitter
son univers.
Jusqu’aux dernières pages, Christelle Dabos parvient à nous faire
avoir des frissons ! Et cette fin, cette fin !! Au début,
je n’étais pas sûre de l’apprécier. J’avais envie de voir si
Ophélie allait concrètement retrouver Thorn pour de bon, d’assister
à leur vie future… Je ne voulais pas quitter la jeune femme
maintenant, sur un passage de miroir !
Mais finalement, après m’être mouchée et essuyé les yeux, j’ai
réalisé que cette fin était une fin magistrale et typique de La
Passe-Miroir.
En effet, de mon point de vue, il est évident qu’Ophélie retrouve
Thorn lorsqu’elle franchit ce miroir. Elle affirme « Nous
reviendrons » à Archibald, avec ce ton assuré qu’elle
emploie lorsqu’elle s’apprête à résoudre une difficulté. De
plus, la chanson dans la boutique, évoquant la fugacité de l’amour,
mais également sa capacité d’apparaître là où on ne l’y
attend pas, sont significatifs. Enfin, les mots de Thorn, « Un
peu plus que cela même. », écrit en italique comme
lorsqu’Eulalie s’adresse à Ophélie depuis l’Envers, me font
penser que c’est lui-même qui s’adresse à son épouse, ou du
moins qu’il est toujours vivant ! Il a survécu au passage
dans la Corne de l’abondance, il peut attendre qu’Ophélie trouve
le moyen de revenir dans l’Envers.
Si j’ai considéré cette fin comme typique de la série, c’est
parce que j’ai trouvé qu’elle laissait une grande liberté au
personnage. En effet, comme l’explique Thorn, Ophélie ne cesse de
vouloir acquérir son indépendance. Faire se terminer la saga sur
son nouveau départ peut paraître frustrant, mais dans le même
temps laisse libre notre imagination. Christelle Dabos nous a donné
suffisamment de pistes de réflexions pour faire nos propres
scénarios.
Ainsi, d’une certaine façon, les aventures d’Ophélie et Thorn
ne sont jamais véritablement terminées. Même si nous ne pourrons
plus jamais découvrir cette série, il nous sera toujours permis de
redécouvrir La Passe-Miroir, d’en explorer les recoins
cachés en retraversant le miroir et en replongeant dans ces romans
chaque fois que nous le voudrons.
Je ne dis donc pas adieu à Ophélie, mais à bientôt dans une
prochaine session de relecture, au cours d’un été brûlant ou
d’un hiver venteux. Je veux également la remercier, pour m’avoir
tant transportée, fait vibrer, émue au fil des pages, au fil des
passages de miroirs. Merci à elle de m’avoir fourni de la force
dans l’adversité, un modèle auquel m’identifier, une héroïne
à citer.
Et merci surtout à sa créatrice, Christelle Dabos, dont la plume,
l’imagination et le talent auront marqué un chapitre décisif de
ma vie de lectrice. J’espère que son parcours dans l’écriture
sera toujours aussi florissant, et je serai au rendez-vous si elle
publie un nouveau roman. (Ou un essai, ou une BD, ou même sa liste
de course!)
Que l’écharpe soit avec vous !
Un peu plus que cela même.
La Passe-Miroir livre 4: La tempête des échos de Christelle Dabos publié aux éditions Gallimard Jeunesse.
Le site de l'autrice: ici
La très bonne et émouvante vidéo de Bulledop, qui a contribué à faire connaître la série :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire