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mercredi 17 mai 2023

Ici et seulement icide Christelle Dabos

 



Comment avez-vous vécu votre collège ? Était-ce des années joyeuses ?

Ou au contraire des moments de souffrance, où vous vous réveilliez chaque matin avec la boule au ventre ?

Pour les personnages du nouveau roman de Christelle Dabos, Ici et seulement ici, publié aux éditions Gallimard Jeunesse, leur expérience entre clairement dans la seconde catégorie.

Dans un huis-clos oppressant, nous suivons le quotidien de plusieurs élèves :

Iris, qui vient de débuter son entrée en 6e et a pleinement conscience que l’insouciance de l’enfance est terminée. Au collège, il y a des règles à suivre et un pas de travers peut vite vous conduire au statut de paria. C’est ce qui est arrivé à l’ancien ami d’Iris, Émile, qui a eu le malheur de vouloir utiliser les cabinets des toilettes des filles. La jeune fille est plus prudente. Elle observe, elle imite, elle se fond dans la masse. Jusqu’à réaliser qu’elle est littéralement devenue invisible…

Pierre est depuis l’année dernière le souffre-douleur de sa classe. Constamment humilié, il ne s’imagine pas être quelqu’un d’autre que celui que l’on rejette. Au point de repousser par réflexe la moindre personne qui lui offre son amitié.

Madeleine quant à elle supporte de moins en moins d’être dans l’ombre de sa copine Lola, très bonne élève sans fournir le moindre effort et très populaire auprès des collégiens et même des lycéens. Alors, lorsque Ça la choisit et qu’elle commence à faire des Miracles, Madeleine espère que son quotidien va enfin changer.

Guy, de son côté, gravite dans une promotion découpée en véritables castes. Faisant parti des Hauts, il peut avoir à son service un Bas, un camarade choisi arbitrairement pour être en dessous de lui et qui est forcé d’obéir à ses ordres. Grâce aux Bas, plus besoin de faire ses devoirs si l’on n’en a pas envie. Tous obéissent au prince, élève mystérieux que l’on ne doit jamais regarder dans les yeux. Mais lorsque Sofie arrive au collège et refuse de se soumettre aux diktats de cette microsociété, Guy sent que son année va être bouleversée.

Autour de ces quatre adolescents gravitent encore d’autres protagonistes : une remplaçante, ancienne élève de l’établissement, qui voit avec horreur et consternation les mêmes schémas de violences et de domination se répéter de génération en génération et un club secret de collégiens qui enquête sur une possible fin du monde.

Amoureuse inconditionnelle de La Passe-Miroir, j’étais vraiment impatiente de découvrir le nouveau roman de Christelle Dabos. Je savais qu’il était très différent de sa précédente saga, j’ai donc décidé de l’aborder comme le livre d’une autrice inconnue. Et bien je n’ai pas été déçue !

L’atmosphère de ce livre est pesante. Tout comme les personnages, on ressent la pression du regard des autres, la crainte des bandes, des groupes, des oppresseurs. Dans Ici et seulement ici, le malaise est décuplé par la sensation d’être prisonnier du collège. Les règles qui ont cours à l’extérieur ne s’appliquent pas dans cet établissement. Intimidation et brimades s’y font en toute impunité, et les adultes, censés être des figures d’autorité, semblent totalement dépassés par les élèves qui imposent leur loi. Le prince des 3e en est un exemple marquant.

Mais plus encore que les élèves, c’est le lieu lui-même qui paraît régir la vie de chacun. Si Christelle Dabos décrit peu le physique de ses personnages, elle ne se prive pas en revanche de dépeindre ce sinistre collège. Les « toilettes de l’enfer », où les collégiens manquent de disparaître, les chaises et les tables délabrées de la bibliothèque, tout cela confer une atmosphère presque horrifique à cet établissement scolaire.

Malgré son côté très réaliste, l’écrivaine n’hésite pas à insérer de véritables touches de magie. Rien n’est laissé au hasard, et tous les pouvoirs développés par les adolescents sont finalement une réaction directe à l’ambiance qui règne au sein de l’établissement. Iris devient invisible par crainte de se faire harceler.

Christelle Dabos introduit aussi des éléments mystiques, avec une fin du monde programmée et cyclique qui n’intervient que là-bas. Elle ne porte pas seulement un regard sur le collège, elle analyse notre société, régie par des jeux de lutte et de dominations, mais aussi par le rejet de ce qui est différent et qui sort de la norme. Car que font ces adolescents, sinon reproduire ce qu’ils voient dans le monde des adultes ?

Un mot enfin, sur la plume de l’autrice. Quelle évolution depuis La Tempête des échos ! Christelle Dabos écrit ici de façon moins sage, plus crue, mais toujours aussi riche. Elle parvient à faire entendre à merveille les voix des différents protagonistes.

Le récit évoqué est sombre, mais l’écrivaine instille souvent des touches d’humour bien pensées qui nous permettent de respirer dans l’atmosphère empoisonnée d’Ici et seulement ici.

J’ai eu la chance d’assister à la soirée de lancement du roman à la Librairie de Paris, et je rejoins les mots du libraire qui disait fort justement que ce nouveau roman pouvait guérir l’élève harcelé que nous avions été. Alors je vous encourage à découvrir ce nouveau roman de Christelle Dabos.

Sombre, déroutant mais addictif, vous tremblerez, vibrerez, remettrez votre vieille peau d’adolescent pour une expérience fantastique, cauchemardesque et riche Ici et seulement ici !

 

Si vous êtes victime ou témoin de harcèlement scolaire :

Le 3020 est un numéro d’appel gratuit opéré par l’École des parents et des éducateurs d’Île-de-France subventionné par le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Il s’adresse aux élèves, aux familles et aux professionnels témoins ou victimes d’une situation de harcèlement entre élèves.

Le 3020 est joignable du lundi au vendredi, sauf jours fériés, de 9h à 20h du lundi au vendredi et de 9h à 18h le samedi.

 

#christelledabos #gallimardjeunesse #icietseulementici #librairiedeparis #lapassemiroir


jeudi 6 octobre 2022

Everything, everywhere all at once : vivre mille vies pour mieux comprendre la sienne

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Produit par le studio A24, le nouveau film de Daniel Scheinert et Daniel Kwan est un véritable
phénomène aux États-Unis. L’héroïne, Evelyn Wang (Michelle Yeoh), est une immigrée
chinoise propriétaire d’une laverie. Minée par la pression et les dettes, elle peine à dialoguer
avec son époux, Waymond, ou à comprendre Joy, sa fille et semble au bord du gouffre. Mais
alors qu’elle se rend chez une inspectrice des impôts, un phénomène inattendu se produit : un
alter ego de son conjoint lui apparaît et implore son aide, lui disant qu’elle a le pouvoir de
sauver l’univers entier. Dans une autre dimension, une force destructrice est en effet à l’œuvre,
et Evelyn semble être la seule à pouvoir rétablir l’équilibre du monde. Elle va alors découvrir
un multivers tortueux où tous ses rêves semblent être réalités. Mais Everything everywhere all
at once
n’est pas qu’une simple plongée au cœur d’univers parallèles. C’est également la quête
d’une femme qui cherche désespérément un sens à son existence.

Un personnage atypique

Evelyn Wang détonne dans le paysage des héroïnes de film d’action. Cette femme de cinquante
ans est bien plus âgée que la majorité des personnages du genre. On s’attendrait plus à ce que
ce soit sa fille, âgée de 20 ans, qui tienne le rôle phare. Pourtant, Evelyn occupe cette place à
merveille, et vit des aventures déjantées et drôles à un rythme effréné, qui ne laisse pas au
spectateur le temps de s’ennuyer.

Une véritable anti héroïne

 

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Evelyn Wang incarne véritablement la figure de l’anti héros. Elle ne possède aucun talent
particulier, et sa vie est au contraire parsemée d’échecs et de projets inachevés. Comme
l’affirme l’alter ego de son époux, de toutes les Evelyn, c’est la seule qui ne connaît aucun
succès. Au début du film, sa froideur envers son époux et sa honte face à l’homosexualité de sa
fille en font un personnage principal assez antipathique.


Ici, on assiste à un renversement de la figure de l’élu, du personnage au destin grandiose.
Lorsqu’un protagoniste est considéré comme le seul capable de sauver l’univers, c’est
généralement à cause d’un grand pouvoir ou d’un don caché. Or Evelyn Wang se révèle être
une femme ordinaire, sans talent particulier, à tel point que l’alter ego de son époux pense
presque s’être trompé en voyant en elle la solution aux malheurs de son monde. Tout au long
du film, l’acquisition de nouveaux dons et de nouvelles compétences se fait par un
apprentissage. Sa maîtrise des univers alternatifs s’effectue après plusieurs essais plus ou moins
concluants. Evelyn reste aussi un personnage très humain, avec ses failles et ses doutes, auquel
le spectateur peut s’identifier.

Ajoutons également que l’humour qui parsème le film rend plus légères certaines scènes qui
pourraient sans cela, avoir un ton grave et solennel. Ces passages véritablement comiques, où
Evelyn se retrouve dans des situations plus loufoques les unes que les autres et est obligée de
faire preuve d’intrépidité et d’ingéniosité pour survivre, nous la rendent vraiment attachante.

Se perdre pour mieux se retrouver

 

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Durant le film, Evelyn explore de multiples versions d’elle-même et des univers plus fous les
uns que les autres. Elle est actrice, chanteuse, cuisinière de talent et une simple pierre ou une
étrange créature avec de longs doigts visqueux. Le spectateur, tout comme elle, est souvent
perdu dans la multitude de ces possibilités. Pourtant, petit à petit, Evelyn finit par retrouver son
chemin dans ce dédale, et par apprécier la vie qu’elle mène, même si elle n’est pas aussi
flamboyante que certaines de ses alter ego. Confrontée à la destruction imminente du monde,
elle réalise soudain ce qui compte véritablement à ses yeux.

Tisser une véritable relation mère-fille

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Rapidement au cours du film, Evelyn découvre que la menace qui détruit le monde de l’alter
ego de Waymond est en réalité une autre version de sa fille Joy. Poussée par sa mère à devenir
une experte du passage entre les dimensions, la jeune femme, qui ici se nomme Jobu Tupaki, a
poussé trop loin les limites de son esprit, et expérimente désormais tous les univers à la fois.
Omnipotente et puissante, elle souffre pourtant, comme Evelyn, de ne pas trouver un sens à son
existence. Quand on peut tout avoir, rien n’a finalement d’importance. Au fond d’elle, Jobu
Tupaki, comme Joy, souhaite simplement être écoutée et soutenue. Evelyn, en parvenant à
dialoguer avec l’alter ego maléfique de sa fille, va finalement pouvoir enfin avoir une véritable
conversation à cœur ouvert avec elle dans son propre univers.

Renouer avec son mari

 

 Everything Everywhere All at Once 2022 Evelyn Wang Vest


Au cours de son périple, Evelyn va être grandement épaulée par Alpha Waymond, l’alter ego
de son mari. Il sera présent à la fois pour l’aider à maîtriser le difficile exercice du passage entre
les univers, mais également pour la mettre en garde contre les pièges et les tentations tendues
par Jobu Tupaki. En effet, la jeune femme essaye d’inciter Evelyn à devenir comme elle, à
accéder elle aussi à toutes les possibilités d’existence à la fois. Evelyn est tout d’abord tentée
par cette proposition : vivre toutes ces vies en une lui permettrait en effet d’éviter la frustration
d’être passée à côté d’une destinée plaisante. Cela lui assurerait aussi d’échapper aux
contraintes du présent, aux factures qu’elle doit payer, aux échecs qu’elle tente d’oublier. Mais
céder à la tentation serait finalement se perdre elle-même dans une ronde infernale vide de sens
et d’intérêt. Waymond, est ici déterminant dans le destin d’Evelyn. C’est en effet lui qui la
convainc de garder espoir, et qui pousse les personnages à être bons les uns envers les autres, à
se parler plutôt qu’à se combattre. Grâce à son appui, Evelyn parvient tant bien que mal à garder le cap dans un monde parfois vide de sens. Waymond est un personnage atypique, qui joue un
rôle clé dans la quête d’identité de sa femme. Par sa présence constante à ses côtés, il lui montre
aussi la valeur de ce qu’elle possède, et que malgré les revers qu’elle peut subir, tout n’est pas
perdu.

Everything everywhere all at once est donc un mélange unique, spectaculaire et bien pensé, qui
alterne entre la comédie, le film d’action et la quête de soi. Derrière tout l’univers fantastique
mis en place par Daniel Scheinert et Daniel Kwan, ce film a également une dimension plus
philosophique, et relate la quête de sens d’une femme ordinaire mais attachante, courageuse et
persévérante, qui se hisse au rang des héroïnes les plus mémorables de cette année 2022.

vendredi 16 septembre 2022

L'espace d'un an de Becky Chambers

 L'espace d'un an

Becky Chambers

 



Alors que paraît son nouveau roman, Un psaume pour les recyclés sauvages, j’ai voulu me plonger dans un des premiers textes de Becky Chambers, L’espace d’un an, publié aux éditions l’Atalante.

Embarquez à bord du vaisseau Voyageur aux côtés de Rosemary, une jeune femme originaire de Mars qui n’a pas dit toute la vérité au cours de son entretien d’embauche et qui ne veut surtout pas que l’on découvre son secret. En tant que greffière du vaisseau, elle a pour tâche de mettre un peu d’ordre dans les affaires de son éclectique équipage. Le capitaine Ashby, la pilote Sissix et les techniciens Jenks et Kizzy forment une véritable famille, unie dans les joies et les épreuves.

Entourée de leur bienveillance, Rosemary va peu à peu vaincre ses peurs et s’ouvrir à ses coéquipiers. Mais la mission du Voyageur est très particulière : ouvrir un passage dans l’espace près d’une nation belliqueuse et obscure, l'Empire Ka. La tâche de Rosemary et de ses compagnons pourrait se révéler plus périlleuse que prévu.

Ce roman a été une excellente découverte et une merveilleuse entrée dans l’univers de Becky Chambers. Ce qui m’a particulièrement frappée au cours de ma lecture, c’est le soin que l’autrice met à créer une atmosphère de complicité entre les personnages. Le lecteur, comme Rosemary, se sent rapidement chez lui au sein du Voyageur et ne veut plus quitter le vaisseau ! Chacun des protagonistes a une personnalité bien définie : j’ai adoré le tempérament de feu de Kizzy et de Jenks, la tendresse de Sissix et la bonté d’Ashby.

Imaginer des êtres si différents est également une occasion pour l’écrivaine d’évoquer les thèmes de l’altérité et de la tolérance. Par le prisme de cet univers imaginaire, Becky Chambers aborde en filigrane des problématiques propres à la communautés LGBTQIA+ ou aux personnes racisées.

L’espace d’un an est le premier livre de la série Les Voyageurs. Même s'il se suffit à lui-même, je vais m’empresser de découvrir d’autres textes de Becky Chambers.

 

L'espace d'un an de Becky Chambers, publié aux éditions L'Atalante.

#latalante #unpsaumepourlesrecyclessauvages #sf

samedi 8 mai 2021

Les enfants sont rois de Delphine de Vigan

 

Les enfants sont rois

 

Delphine de Vigan



Ayant grandi en regardant la première émission de téléréalité Loft Story, Mélanie, rêve elle aussi de célébrité et de gloire. Alors qu’elle devient mère de deux enfants, Kimmy et Sam, elle atteint finalement son objectif lorsqu’elle ouvre une chaîne youtube entièrement dédiée à ses enfants. Filmés toute la journée en train de déballer des cadeaux ou au cours de leurs achats dans les magasins, ils atteignent une renommée qui dépasse tous les rêves de Mélanie. Celle-ci devient une véritable maman modèle. Mais tout bascule dans sa vie lorsque sa petite fille Kimmy est enlevée. Clara, la commissaire chargée de l’affaire, se lance sur les traces du kidnappeur et découvre avec stupeur le monde des enfants stars de Youtube.

 

Le nouveau roman de Delphine de Vigan a fait grand bruit au moment de sa sortie, et je ne peux que rejoindre l’enthousiasme général. L’autrice aborde ici avec brio le sujet des très jeunes Youtubeurs. Cette thématique a déjà fait grand bruit sur la toile, notamment lors de la montée des chaînes françaises telle que Studio Bubble Tea. De nombreux vidéastes et internautes s’étaient en effet indignés du rythme effréné de vidéos imposées aux enfants, et avaient pointé du doigt le vide juridique concernant le travail effectué par ces très jeunes stars et les conséquences sur leur image. Delphine de Vigan reprend bien tous ces enjeux, en évoquant notamment les moqueries que peut subir Sam ou la fatigue et la gêne que ressent Kim à être filmée quasiment en continue.

 

Le personnage de Mélanie est bien construit. L’autrice nous explique les « origines » de recherche de célébrité, le sentiment de vide qui l’habite, son envie d’être aimée, sans pour autant excuser son comportement. Nous ressentons à la fois un mélange de pitié et de colère face à elle. Clara est également un personnage intéressant, puisqu’elle constitue une portée d’entrée au monde des enfants youtubeurs, qui est une totale découverte pour elle.

 

L’ambiance policière du roman est bien rendue, il se dévore et l’on a de la peine à le reposer avant de savoir ce qui est arrivé à la petite Kimmy. L’autrice fait aussi preuve d’originalité en y ajoutant un aspect de récit d’anticipation en imaginant avec justesse le futur en 2030.

 

Je recommande ce roman à tous ceux intéressés par le thème des enfants youtubeurs ou qui désirent lire un roman qui s’approche du roman policier, sans pour autant avoir une intrigue trop complexe.

 

Les enfants sont rois de Delphine de Vigan publié aux éditions Gallimard.

 

Une vidéo sur le sujet des enfants youtubeurs (un peu datée):