On achève bien les chevaux
Horace McCoy
Dans
les années trente, aux États-Unis, il ne fait pas bon courir
après le rêve américain et le strass et les paillettes de
Hollywood. C’est ce que découvrent à leurs dépens Robert et
Gloria, deux personnes d’origine modeste espérant devenir
figurants pour de grands films. Afin de gagner un peu d’argent, ils
s’inscrivent ensemble à un marathon de danse pour espérer
empocher une récompense de mille dollars. Mais la compétition est
rude. Le principe de ce concours est très simple : il ne faut
jamais cesser d’être en mouvement pendant cinquante-cinq minutes.
Les participants ont droit à dix minutes de pause pendant lesquelles
ils peuvent manger, dormir et se soigner. La durée du jeu est
illimitée, et ne cesse véritablement que lorsqu’il ne reste plus
qu’un couple en lice. Si, pendant l’épreuve, Robert y voit
l’opportunité de se créer un réseau pour une carrière future,
Gloria se laisse peu à peu sombrer dans la mélancolie, la rancœur
et le mal de vivre, jusqu’à commettre l’irréparable…
J’avais
entendu parler de ce roman grâce à la merveilleuse vidéo de LemonJune, qui m’avait donnée très envie de le lire ! Bien que
courte, cette lecture laisse un souvenir mémorable.
Le
contexte dans lequel se déroule l’histoire est très particulier
et révoltant. Je n’avais jamais entendu parler de ces marathons de
danse, qui ont pourtant bel et bien existé. L’auteur décrit
combien la misère humaine est dressée en spectacle pour les plus
offrants. Les organisateurs privilégient le sensationnel, allant
jusqu’à mettre en scène de faux mariages ou à profiter des
crimes d’un des candidats pour faire la publicité de l’évènement.
Les danseurs sont tous des personnes démunies, ayant désespérément
besoin d’argent ou en situation de fragilité. Outre Gloria et
Robert, nous avons un aperçu des autres couples, parmi lesquels on
trouve notamment une femme enceinte et une jeune adolescente en
fuite.
La
narration laisse également une impression très particulière. Nous
suivons uniquement le point de vue de Robert. Nous entendons la voix
du personnage, son langage familier et parfois cru, mais dans le même
temps nous sommes frappés par la façon dont le jeune homme semble
détaché du récit qu’il raconte. Mis à part une rapide mention
des douleurs physiques, Robert ne s’attarde pas sur l’horreur de
sa situation. Il détaille les faits de façon clinique, il est
concentré sur lui-même, ses projets d’avenir, et sa volonté de
réussir. Cela ne rend pas pour autant le récit plat et dépourvu
d’action. Au contraire, nous ressentons une certaine angoisse
lorsque Robert décrit les courses mises en place par les
organisateurs pour éliminer plus vite les concourent et renforcer
l’aspect spectaculaire du marathon. Nous en venons à éprouver le
désir paradoxal que Robert et Gloria restent dans la course, car
cela semble être la dernière solution qu’il reste aux
personnages.
Ce
court roman se déroule presque à huis clos. Les danseurs semblent
coupés du monde, plus rien n’existe en dehors de la construction
sur pilotis où ils s'entassent jours et nuits. Le passé ou
l’avenir des protagonistes ne semblent plus véritablement compter.
Même si Robert aspire à devenir réalisateur, il vit au jour le
jour, profitant des repas chauds et sympathisant avec les différents
sponsors. Quant à Gloria, son désir de mort et son dégoût du
monde se renforcent à mesure que les jours passent, si bien qu’elle
ne se projette plus du tout dans un futur proche ou lointain.
Gloria
est un personnage à la fois fascinant, triste et mystérieux. Nous
n’avons que le point de vue de Robert, qui ne la comprend pas, si
bien qu’elle garde un voile secret. Cependant, le peu que nous en
livre l’auteur sur son passé suffit à nous laisser comprendre
qu’il s’agit d’une jeune femme blessée par la vie, abîmée
par les violences qu’elle a subi et profondément dégoûtée du
monde qui l’entoure et qui ne semble pas présenter un avenir
viable. Cela est particulièrement frappant dans son désir qu’elle
a de ne pas avoir d’enfants, pour ne pas qu’ils se transforment en adultes pauvres et esclaves de l'argent. Contrairement à
Robert, Gloria ne se laisse pas prendre au jeu de la compétition.
Elle pose un regard désabusé sur le monde des sponsors, sur le
public et les autres danseurs. C’est également un personnage très
moderne, mordant et qui a du répondant. Elle n’hésite pas à
défendre la liberté des femmes face à une morale austère, et qui
cache souvent plus de vices qu’il n’y paraît.
On
achève bien les chevaux est donc un roman poignant, dur et
sombre, où les personnages semblent condamnés, mais qui dans le
même temps pointe du doigt la cruauté et la bêtise humaine, ainsi
que son goût pour le spectacle et le morbide. Si vous avez le cœur
bien accroché, et si vous désirez en savoir plus sur ce fait
historique peu connu, ce roman est fait pour vous !
On achève bien les chevaux de Horace McCoy publié aux éditions Folio.
La vidéo de Lemon June :